Le Monastère de Béthléem

hotel des corbièresLégèrement à l’écart du chef-lieu de Pugny-Châtenod, lorsque se termine le chemin des Corbières, véritable balcon suspendu entre le Revard et le lac du Bourget, on découvre dans la verdure un monastère occupé par les « Sœurs de Bethléem, de l’assomption de la Vierge et de Saint Bruno », un ordre religieux créé voici une soixantaine d’années qui suit la règle des Chartreux : une vie contemplative, marquée par le silence, la prière, l’étude et le travail (tâches ménagères, artisanat…). Les moniales vivent dans une grande bâtisse, héritière d’une belle histoire ; elles accueillent les personnes qui le souhaitent dans leur nouvelle église, placée sous le patronyme de Saint Joseph, consacrée en octobre 2009, où se déroulent leurs offices réguliers. Elles vendent dans un magasin d’exposition libre d’accès tout ce qu’elles fabriquent (poteries de la « vaisselle d’or », confitures, tisanes, chocolats…) ou ce que produisent les autres monastères de l’ordre éparpillés dans les régions de France (sculptures sur bois, statuettes en pierre reconstituée, icônes, livres…).


C’est aussi l’occasion pour ceux qui le souhaitent de se promener dans un parc plus que centenaire et de découvrir en contrebas un bâtiment qui surprend en ces lieux.


Il s’agit d’une chapelle unique en son genre, en forme de croix grecque, dont le dépouillchapelleement intérieur voulu par les sœurs, seulement habillé par des icônes de style byzantin, a fait disparaître les vitraux d’origine qui évoquaient le monde slave et orthodoxe. C’est la « Chapelle de l’Unité », construite en 1926 pour abriter dans sa crypte (visite autorisée) la dépouille du père Fernand Portal (1855-1926), connu à travers le monde par ceux qui s’intéressent à l’histoire des religions. Ce lazariste fut en effet un précurseur de l’œcuménisme, du rapprochement entre les Eglises, à une époque où l’idée n’allait pas de soi, bien avant les avancées du concile Vatican II des années 60. Ainsi s’explique le nom donné à cette chapelle. Le père Portal, outre ses relations avec les milieux intellectuels parisiens et européens, était l’aumônier d’un orphelinat qui, entre 1917 et 1970, accueillit des jeunes filles encadrées par Mme Gallice, un riche mécène qui y consacra sa fortune, aidée par les Sœurs de Saint Joseph. Son corps se trouve également dans la crypte de la chapelle depuis 1932.

   

Mais, avant d’être un orphelinat, le bâtiment des Corbières a connu une activité touristique elle aussi très originale.

Un médecin aixois, le docteur Monard, avait fédéré de nombreux efforts pour créer ici un hôtel de luxe destiné à soigner par héliothérapie les personnes fatiguées et fortunées. Inauguré en 1893, l’hôtel magnifique, copié sur les réalisations suisses de l’époque, était relié à Aix-les-Bains par le chemin de fer à crémaillère du Revard, ouvert l’année précédente, et qui s’arrêtait à la gare de Pugny-Châtenod, la seconde halte du train dans son ascension de la montagne, au commencement de l’allée de marronniers qui abrite toujours les nombreux promeneurs qui l’empruntent pour gagner les Corbières. Tout respirait le luxe (eau courant à profusion, balcons inondés de soleil, cheminements piétonniers sans effort, cures de lait et de raisin…) et des célébrités y sont venues : les reines de Hollande, la jeune Wilhelmine et sa mère régente du royaume, en novembre 1896, ont laissé leurs noms à la « source des deux reines » qui jaillissait dans le domaine. Cependant les Corbières étaient bien loin du monde luxueux de la ville d’eaux aixoise où il était indispensable de multiplier les rencontres. Si bien que l’expérience hôtelière se termina par un échec financier à la veille de la première Guerre mondiale.


        L’histoire a donc laissé de profondes traces aux Corbières avec trois étapes marquantes : le tourisme aristocratique de la « Belle époque » (l’hôtel de luxe, 1893-1914) ; la solidarité sociale (l’orphelinat, 1917- 1970) et le monde spirituel du monastère depuis 1971 avec les moniales de Bethléem. Une visite des lieux permet de retrouver ces moments successifs qui ont tous laissé leurs marques au sein d’un paysage emprunt d’une grande sérénité.


Documents :
-1 L’hôtel des Corbières en 1893 (réalisation Léon Grosse). Devenu orphelinat, le bâtiment fut agrandi au Nord en 1922.
-2 La « chapelle de l’Unité » aujourd’hui.

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